CATASTROPHE NATURELLE
CATASTROPHE NATURELLE : ON VOUS RACONTE DES HISTOIRES (Chapitre 1)
C’est une catastrophe naturelle qui ne dit pas son nom. Elle se produit sous nos yeux de manière insidieuse. Les chiffres sont édifiants. Comme une épidémie en entreprise…Elle touche la Société dans sa globalité : hommes, femmes, salariés, managers, dirigeants.
Inégalités, conflits, stress, fatigue, isolement, harcèlement, dépression, maladies…
La question de la Santé au Travail est-elle encore trop dérangeante ?
Heureusement,
- Des entreprises prennent des initiatives en matière de QVT, parfois lourdes et courageuses, mais encore trop isolées. Des salariés s’engagent à leur côté. Nous comptons sur vous dès maintenant pour témoigner de ces bonnes pratiques et les relayer au plus grand nombre ⇒ GRAND DÉBAT NATIONAL SUR LA QVT PROLONGÉ AU 30 AVRIL 2019
- Les alertes se font plus nombreuses pour sensibiliser les salariés, les managers, les dirigeants à travers des témoignages et des conseils, pour ouvrir à la réflexion et donner les clefs d’une transformation positive de la société. Tout est trop long cependant pour davantage d’actions porteuses de changement.
Commençons par deux histoires ce mois-ci :
- une histoire de résilience, celle d’un « cadre dirigeant » qui veut nous livrer son histoire les yeux dans les yeux. Ils sont des milliers chaque année à être TOUCHÉS. Il considère aujourd’hui qu’il doit la raconter
- ci-dessous, une autre histoire, bouleversante cette fois, celle d’une salariée qui nous a quitté. Cette histoire est issue du livre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés» qui porte le message d’Eliane avec ce récit tragique. Ils sont trop nombreux chaque année à être COULÉS
TOUCHÉS OU COULÉS, nous sommes pourtant bien loin d’un « jeu de société ».
Une première histoire : cas clinique issu du livre « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés», 2008
« le temps est un voleur de vie »
« Eliane est une jeune femme de 34 ans, que son médecin du travail, inquiet de sa fatigue lors de la visite annuelle, adresse à la consultation « Souffrance et Travail « . Malgré des empreintes physiques visibles, elle se montre au cours de ce premier entretien, tonique, déterminée. Elle a été formée au secrétariat de direction, au marketing. Elle est trilingue. Elle dit s’être lassée de son premier poste d’assistante de direction qu’elle considérait comme un poste d’exécutante et avoir aspiré à plus de responsabilités et de créativité dans son travail. Mais pendant cette période, elle s’est mariée, est tombée rapidement enceinte et a tenté, jusqu’au bout d’une grossesse difficile, de tenir son rôle au travail. A son retour de congés maternité, Eliane raconte qu’elle n’a pas retrouvé son poste d’assistante. Elle a été arbitrairement déplacée sur un poste de marketing dans une société satellite de celle qui l’emploie. Sa DRH lui a fait comprendre qu’elle devait se plier à cette décision, car «mère», elle serait forcément moins investie au travail. Eliane décrit sa DRH comme une femme sans empathie, sans identification aux difficultés spécifiques des femmes dans le monde du travail.
Eliane a entamé un recours juridique afin de réintégrer son poste initial et depuis quelques mois elle est assistante de direction auprès d’un des DG. La charge de travail est majeure, les réunions ont lieu en fin de journée, peuvent durer jusqu’à 21 heures. Les travaux urgents sont à exécuter en fin d’après-midi quand son DG revient de ses rendez-vous.
Se battre pour retrouver sa place, se battre pour mener de front travail et vie privée semblent avoir eu raison de sa résistance émotionnelle et physique. Eliane dit que des signes d’hypothyroïdie sont apparus depuis quelques mois. Elle avait du mal à faire la part entre son état d’épuisement et les symptômes liés au tableau clinique. Elle a vu un généraliste une seule fois, elle prend son traitement sans faire les examens sanguins de surveillance.
Bref, elle se néglige. Je le lui dis. « Je n’ai pas le temps de m’occuper de moi. Je dois être au top tout le temps, être malade n’est même pas pensable. »
La solitude d’Eliane est devenue majeure. De ses difficultés, elle ne dit rien à son mari, à sa famille. Son salaire est nécessaire pour éponger les emprunts, financer la garde des enfants. Au bureau, rien ne doit filtrer. Elle pleure dans les toilettes quand elle n’en peut plus. Elle VEUT travailler, progresser, accéder à plus de responsabilités. Son usure physique et mentale s’est accrue sans qu’elle en tienne compte et au bout d’un moment sans même qu’elle la perçoive. De toutes façons, la fatigue est irrecevable au travail. La verbaliser publiquement implique de se déterminer, de faire un choix, de renoncer : travail ou enfants.
Les mâchoires du piège temporel se resserrent. Charge mentale et physique du côté du travail, charge mentale et physique du côté de la vie familiale. La construction identitaire des femmes au travail vient se heurter au fait que s’occuper des enfants et du foyer « va de soi ».
Le temps peut devenir une règle adaptative s’appliquant à l’encontre des rythmes du corps. Cet envahissement est lié au fait de ne pouvoir dire non car dire non implique d’échapper à l’angoisse spécifique d’être autonome face à l’autorité, d’imposer des limites, de se préserver (Sami Ali, 1990). Entre les ressorts intrapsychiques de la culpabilité et les verrous imposés par l’organisation du travail, l’interdiction d ‘avoir du temps pour soi, c’est à dire pour le plaisir, devient majeure. Le temps devient un voleur de vie.
Depuis peu, le projet de création d’un secteur informatique a été lancé pour lequel elle s’est passionnée et autour duquel « on » lui a fait des promesses, lui faisant miroiter une promotion possible et des responsabilités de direction de service. Elle est d’ailleurs, me dit-elle, la seule à avoir suivi un stage de formation sur le sujet, ce qui lui apparaît comme une confirmation implicite de sa future nomination. Elle travaille à la présentation publique qu’elle doit faire bientôt. L’inquiétude à la voir se déplier sur tous les fronts au détriment de son équilibre psychosomatique lui est renvoyée » par le clinicien qui lui propose de revenir parler de sa présentation, avec en filigrane, l’espoir qu’elle parlera de ce qui se joue de son identité dans cet itinéraire.
Eliane va plus mal lorsqu’elle téléphone pour annuler son rendez-vous. La présentation orale du projet de création d’un secteur informatique a soulevé un tel enjeu identitaire qu’elle n’en a pas dormi les nuits d’avant, qu’elle a eu l’impression de perdre le souffle au moment de prendre la parole. Elle a pu se reprendre et pense s’être montrée brillante, professionnelle. On l’a félicitée sur son travail. On lui a aussi demandé ses sources d’information et elle a compris qu’on voulait probablement la court-circuiter. Elle a refusé et son refus a été mal vécu par tous les responsables présents à la dernière réunion. Décidément, Eliane n’adhère pas à la stratégie de l’entreprise. Elle veut juste bien travailler. Etre reconnue pour ce qu’elle peut apporter. Sa détermination n’a d’égale que sa détresse.
Pour tenter de la faire accrocher à une prise de recul sur elle-même, on lui propose un troisième rendez-vous auquel elle ne viendra jamais puisqu’elle va mourir. C’est son mari qui reconstruit les événements des derniers jours. Dès le lendemain, elle apprend qu’on a démembré le poste informatique qu’on lui avait promis en répartissant les tâches sur plusieurs personnes. Effondrée, Eliane passe un mauvais week-end mais décide de voir le lundi suivant sa DRH pour obtenir des explications. Lorsqu’elle sort de l’entretien, elle appelle son mari sur son portable et lui restitue le dialogue violent qu’elle vient de vivre : « le travail que vous avez fourni est excellent mais pas suffisant pour que vous obteniez une promotion. Il faudra faire plus… En tous cas, le poste informatique n’est pas pour vous. Les recherches, le travail déjà accompli ont bien servi l’entreprise. Qu’est ce que vous imaginiez ?».
Eliane dit sa colère car la situation d’injustice est flagrante. Aucune reconnaissance n’est obtenue sur la qualité du travail accompli. Les recherches faites, le stage suivi ont été des investissements absurdes. La barre est repoussée un cran plus haut. L’imposture est flagrante. Elle a mobilisé énergie, compétences pour rien. Son mari la décrit comme sonnée, la voix atone, éteinte. Elle raccroche. Des témoins la verront ranger son portable, s’appuyer contre le mur du bâtiment, puis s’effondrer. L’arrêt cardiaque est massif. L’infirmière pratique les premiers gestes de réanimation jusqu’à l’arrivée des pompiers et du SAMU. Aucune des procédures ne permettra de la sauver. «
Besoin de vous, de quelques minutes de votre temps, de vos idées « QVT », de votre relais pour le Grand Débat National sur la QVT avec des idées avant, des idées après. Cet événement des 7 et 8 mars est une occasion mais ce n’est qu’un début.